Je suis parti pour le Mont Athos, invité à faire un
travail documentaire sur le monastère Saint Andreas. Du bateau,
Athos m'est apparu comme une île.
J'entrais dans un lieu protégé du monde, sans
electricité, sans radio, sans journaux. Un lieu hors du temps ou
plutôt avec son temps propre: les horloges,
d'un monastère à l'autre, n'indiquent pas la même
heure et en tous cas indiquaient pour moi une heure parfaitement
fantaisiste.
J'avais l'impression que la principale activité des moines avait
été, depuis toujours, d'arrêter le temps. Par le
jeûne, ils devaient consumer leur corps pour
arriver à l'état idéal où j'ai
rencontré les habitants de Saint Andreas, pour n'être
qu'esprit, se couper du monde.
Je ne pouvais adhérer à cette philosophie. Mon
système de travail n'était pas applicable ici.
J'étais seul, je n'avais plus de repères.
Je n'ai pas travaillé dans un esprit documentaire. J'ai suivi le
rythme des lieux, me levant tôt, me couchant tôt, passant
mes journées à la marche, à la
lecture, regardant beaucoup, photographiant somme toute assez peu: la
terre, la mer, le ciel, les cyprès, quelques bâtiments;
photographies vertes,bleues,
rouges, blanches.
Les premières photographies ont été celles des crânes, puis les cyprès, les arbres de la mort.
En acceptant le rythme et les conditions de vie d'Athos, mais en
m'intéressant d'un autre point de vue à la nature, aux
éléments, je me suis tenu à l'écart
du mysticisme.
Je n'étais plus dans un lieu séparé mais dans le monde.
jls, 1994