Le travail photographique de Jean-Louis Schoellkopf[i], dont nous
présentons ci-après quelques extraits propose une
réflexion visuelle à partir de la mise en images
de la
frontière entre deux entités,ville et port, à
Gênes. Il veut montrer comment la ville a fabriqué,
à travers la sopra elevata un espace de tensions, un ensemble
de
lieux apparemment laissés pour compte, sans qualité, que
l'usager est sans cesse amené à négocier. Le
travail du photographe désigne une frontière
matérielle certes,
mais qui cache aussi des frontières
plus complexes, celles des zones sous douanes,celles, plus
incorporées, d'un monde du travail que le docker quitte en
sortant dans
l'au-delà du monde civil.
Ce travail répond
à une commande publique accompagnant une réflexion sur la
requalification des espaces urbano-portuaires, certainement soutenue
par le désir d'un
aménagement, une volonté de
transformer ce fleuve de béton, de corriger un geste honteux et
encombrant. Il donne à voir les images obsédantes d'un
équipement traversant,
dont la linéarité manifeste
la rationalisation des mobilités.
Un archétype moderne de
l'espace de circulation.
La sopra elevata apparaît ainsi comme un
lieu-mouvement, support fonctionnel de flux automobiles,
omni-présents dans la ville.
Notre première
réaction avait été d'y voir la négation -
par un geste technologique d'infrastructure - d'une organisation de
l'espace ancienne, liée à la spécificité
géographique
de la ville (un site qui doit sans cesse
négocier entre mer et montagnes). A la réflexion, on peut
se demander au contraire s'il n'y a pas lieu d'y trouver la
continuation d'une
organisation morphologique issue du Moyen Âge, une résurgence de la ripa[ii] , cette galerie longue de
près d'un kilomètre, accompagnant la courbe du rivage
faite de
portiques homogènes.
Les grandes familles marchandes
devaient contribuer à cet ouvrage en construisant entre leurs
propres édifices et la mer, acquérant l'autorisation
d'édifier au-dessus,
et récupérant ainsi un espace
rare.
Limite raisonnée entre la ville et la mer, waterfront
avant la lettre ? La spatialité gênoise s'est de cette
façon organisée entre mer et montagne depuis le Moyen Age
autour de deux axes :
l'axe longitudinal, concrétisé par
la ripa, et un axe vertical, perpendiculaire allant de la mer aux
montagnes traçant des îlots socio-politiques autonomes.
Les
images nous mènent en zigzags de part et d'autre de cette
coupure qui traverse la ville longitudinalement comme pour
défier une nature organisée plutôt verticalement,
de la mer à la montagne.
Le photographe nous expose une
dramaturgie de la coupure qui pose implicitement à travers la
commande à l'artiste la question (récurrente dans les
zones urbano portuaires)
du surfilage et de la couture.
Ce travail
visuel propose de cette manière à la réflexion un
outil sur la déprise comme sur les reprises possibles des
espaces; il ouvre la voie à une collaboration qui ne peut
être
que fructueuse entre les multiples acteurs qui participent
désormais à ces collectifs d'énonciation
liés aux projets d'aménagement.
16 J-L. Schoellkopf, Travail photographique exposé à
Gènes, « Gènes, la ligne de couture port-ville
», Pallazzo San Giorgio, 1998, et à Paris, Galerie Aline
Vidal, 2001.
17 E. Poleggi, Strada Nuova una lotizzazione del cinquecento a Genova, Sagep, Genova, 1977.
L’auteur décrit cette organisation de l'espace où
les îlots, abritant les familles de marchands concurrentes,
dessinaient des territoires en profondeur, depuis les pontons sur la
mer
jusqu'en haut de la ville.
Ces espaces très denses
étaient occupés par des maisons très en hauteur
abritant à la fois les lieux de vie et les lieux de commerce.
Même à la Renaissance, au moment
de la construction de la
Strada Nuova, il n'a jamais été question de changer le
système viaire.
16 J-L. Schoellkopf, Travail photographique exposé à
Gènes, « Gènes, la ligne de couture port-ville
», Pallazzo San Giorgio, 1998, et à Paris, Galerie Aline
Vidal, 2001.
17 E. Poleggi, Strada Nuova una lotizzazione del cinquecento a Genova, Sagep, Genova, 19
L’auteur décrit cette organisation de l'espace où
les îlots, abritant les familles de marchands concurrentes,
dessinaient des territoires en profondeur,
depuis les pontons sur la
mer jusqu'en haut de la ville.
Ces espaces très denses
étaient occupés par des maisons très en hauteur
abritant à la fois les lieux de vie et les lieux de commerce.
Même à la Renaissance, au moment de la construction de la
Strada Nuova, il n'a jamais été question de changer le
système viaire.
Marion Ségaud