Je suis né en 1948, au 73 rue Albert Catherine, dans la cité Brandon, et j'en suis fier. A l'époque, c'était la seule rue qui avait un nom. Il n'y avait pas rue de Verdun, rue de la Mare...tout ça.
Vous vous rendez
compte, je suis né dans une maison!
La mémoire de Blainville, c'est nous, les Brandon. Ici, c'est une mentalité. C'est le plus vieux quartier de Blanville. Je parle en termes d'habitants. Evidemment, le bourg est plus vieux,
mais il a déjà été complètement rénové. On allait à l'école communale. Là, on avait un maître qui, tous les lundis matin, faisait l'inspection des pieds. Il fallait enlever ses chaussettes pour voir si on avait
les pieds propres. Eh bien, ce n'est pas ceux
qui habitaient les Brandon qui avaient les pieds les plus sales. Jamais il n'a
renvoyé un gosse d'ici. On avait tous les pieds propres!
Ce qui me plait particulièrement dans cette maison,
c'est la pleine nuit. Alors je me lève et je vais pisser dans le poulailler. En
H.L.M., jamais je ne pourrais faire ça!
Mon père, il était d'origine marocaine, mais quand il
tuait le mouton pour faire le couscous, il y avait toute la cité ici.
Pour nos noces d'or, nos enfants étaient tous déguisés
en bébés. Des bébés de cinquante ans! Ils nous ont offert un voyage aux
Canaries. C'était la première fois que nous prenions l'avion.
Où habitait Madame Chipers? Dans la grande, non? Eh bien, pendant la guerre, sur les quatre appartements de cette maison, trois étaient occupés par des chefs de la Résistance: il y avait Limard,
Marcel de la Haye, et Henri Léveillé. Il faudrait peut-être donner le nom des rues des Brandon à ces trois là. Moi, j'ai rien contre Jacques Brel, parce qu'il y a la rue Jacques Brel un peu plus loin,
mais bon, faudrait peut-être déjà commencer
par des gens de la commune.
Gaston St-Jean, peut-être que ça ne dit rien à ceux qui n'ont pas habité les alentours. Mais demandez voir aux allemands qui étaient en poste à Blainville? Tous les matins, il faisait la levée des couleurs
dans la
cour. A leur nez, leur barbe! Et pas un n'aurait osé len empêcher!
C'est dommage qu'ils ne les vendent pas les cités
Brandon, nous, je crois bien qu'on les rachèterait.
Albert Catherine, le résistant, il habitait au 94, rue
Albert Catherine, c'est pour ça que la rue a son nom. Pour ce qui est de
Brandon, c'est le nom de l'architecte, apparemment. Mais j'attends la
confirmation.
Un jour, au lycée, j'ai dit à un professeur: Vous savez, moi mon père, il a travaillé aux chantiers navals! Parce que les Brandon ont été construits pour héberger les gens qui travaillaient aux chantiers navals.
Et le professeur m'a répondu: Mais ça
va pas, il n'y a jamais eu de chantier naval à Blainville! Un professeur, vous
vous rendez compte! Les gens ne savent même plus qu'il y avait la Navale à
Blainville.
Je suis entré à la Navale le 16 aout 45. Ils ont fermé les chantiers le 28 octobre 1954. Ces dates là sont ancrées. A cette époque, c'est le comité d'entreprise des chantiers navals qui nous logeait.
C'était ici, aux Brandon.
En 1962, j'ai fait la demande d'un quatre pièces. Quand j'attendais Christian, c'était le huitième. Comme je n'ai pas eu de réponse, mon mari a trouvé un baraquement.
J'ai demandé pour l'installer et, de la même façon que je n'avais pas de réponse au sujet du quatre pièces, je n'ai pas eu de rèponse pour le baraquement.
C'est pour cette raison qu'il est là. Je peux
vous dire qu'il nous a bien servi.
De toute façon, quand tout sera fini, moi je serai partie. J'ai ce potager, ces poules, ces canards, ces lapins là-bas, mais j'ai pas de maison. Par dessus le marché, je ne paie rien!
Je l'ai pourtant déclaré!
Ca fait quatre ou cinq mois que je suis là. J'attends, et pendant ce temps, je
nettoie.
Quand il fait beau, avec ma femme, on vient faire un
barbecue.
C'est tranquille. Ma voisine elle est pas là, l'autre elle est morte. On peut pas faire plus calme. Je suis tout seul comme un con.
RETOUR |